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Un livre de « sagesse pédagogique » : tel est le compliment que délivre Jean Houssaye dans la préface de cet ouvrage et auquel on souscrit pleinement. Loin des débats stériles entre théorie et pratique, ce livre dessine des pistes solidement étayées pour faire évoluer les pratiques à l’école et faire travailler les élèves.
Des regards croisés
Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration entre un professeur des universités, Laurent Lescouarch, et un maitre d’école, Sylvain Grandserre. Les auteurs distinguent sept leviers qui peuvent permettre de faire évoluer les pratiques. Des encarts soulignent à la fois ce qui se passe « dans la classe » et montrent également le « regard de chercheur », le « regard de praticien ». On trouve aussi des encadrés « points-clés » qui permettent des approches au final tout à fait complémentaire. A la fin de chaque partie quelques références permettent d’aller plus loin. Une précédente version de l’ouvrage était parue en 2009. Il s’agit là d’une édition actualisée. Les auteurs situent leur projet dans le cadre d’une pédagogie active. La préface de 2009 de Jean Houssaye développe les points forts de l’ouvrage. Selon lui, les deux auteurs parviennent à faire rimer apprentissage et curiosité.
Liberté pédagogique et pédagogie de la liberté
Dans leur avant-propos, Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch se positionnent clairement en opposition au minstre Jean-Michel Blanquer : « sa politique éducative ne peut se comprendre que dans la continuité de ses responsabilités importantes à la DGESCO sous l’ère Sarkozy et de son orientation scientiste. » A travers cette phrase, les auteurs déplorent le peu de cas qui est fait de toutes les recherches accumulées depuis 50 ans en sciences de l’éducation. Ils invitent les lecteurs à s’emparer de leur liberté pédagogique. C’est grâce à elle que des champs ont été défrichés : travail de groupes, coopération, remédiation… « La liberté pédagogique est donc ici envisagée dans l’idée d’une pédagogie de la liberté, c’est-à-dire celle de l’apprentissage de cette dernière par l’élève. » Les sciences de l’éducation sont envisagées au pluriel et l’enjeu est de construire des théorisations qui éclairent des choix, pas de prescrire les pratiques. « Il n’y a pas eu trop de pédagogie mais plutôt pas assez ! »
Quelle place laisser aux enfants dans la classe ?
Les auteurs montrent d’abord que la tentation de tout professeur est de professer, ce qui risque d’avoir pour conséquence de mettre les élèves en position uniquement passive. Il est indispensable que l’élève enquête, compare ou se confronte. Les auteurs rappellent l’importance du triangle de Houssaye avec le professeur, le savoir et les élèves. Il est fondamental de tenir compte des représentations des élèves qui n’arrivent jamais vierges sur un sujet. Cela ne peut se faire que dans un climat de confiance. Les conceptions peuvent donc se révéler être un point de départ pour le travail. Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch développent l’idée que les enseignants ont parfois du mal à rompre dans leurs pratiques avec certains réflexes en raison de l’image qu’ils se sont construites de l’enseignant.
Comment penser les apprentissages scolaires ?
Il faut mettre l’apprenant « face à une situation problème » mais aussi utiliser « le levier des échanges intra-individuels afin de permettre l’apprentissage. » Autrement dit, il faut laisser à l’élève le temps de tâtonner… ce qu’on ne fait pas toujours. Comme beaucoup d’enseignants sont d’anciens bons élèves, ils oublient parfois cette étape, intimement persuadés que la connaissance est intéressante par elle-même. Cela implique aussi de revoir le statut de l’erreur. Les auteurs citent les travaux essentiels de Jean-Pierre Astolfi qui invitait à comprendre le pourquoi de l’erreur. Si l’enseignant doit évidemment préparer, il faut aussi garder une forme de souplesse. Il faut réfléchir aux différentes phases : phase d’écoute, de participation, de découverte, de révision.
Comment organiser le travail ?
Ici, il faut penser à se poser quelques questions matérielles mais qui ne sont pas que ça : quelle disposition des tables par exemple ? Tout cela influe sur la possibilité de travail en groupe par exemple. On peut aussi s’interroger sur le découpage des activités autour de disciplines constituées car, comme le disent les auteurs, « il n’y a qu’à l’école que le savoir est ainsi découpé en disciplines ».
Comment évaluer en tenant compte des difficultés ?
Les auteurs rappellent d’abord qu’il existe souvent une évaluationnïte aigüe. De nombreux travaux de docimologie ont pourtant montré de façon claire et depuis longtemps la subjectivité de l’acte évaluatif alors qu’on le croit souvent objectif. De nombreux biais l’affectent en réalité. « Penser l’évaluation suppose donc de se construire des outils ».
Différencier pour que chacun ait une tâche en fonction de ses besoins
La question de la différenciation est un « casse-tête permanent pour de nombreux enseignants ». Il faut se souvenir que pendant longtemps la question a été négligée. Si l’élève ne suivait pas, il redoublait ou était réorienté. Un schéma très utile montre tout ce qu’il est possible de faire en matière de différenciation pédagogique. Un point essentiel à travailler avec les élèves est « apprendre à apprendre ». Un encart « Dans la classe » montre quel bon emploi on peut faire des élèves qui travaillent vite et bien. Il est en tout cas essentiel de varier les formes d’apprentissage en valorisant d’autres formes de savoirs.
Comment faire de la classe un lieu de socialisation démocratique ?
D’une formule les auteurs posent le problème : « monarchie absolue et monarchie parlementaire sont les modèles sociaux dominants dans les classes ! ». Il y a donc un sacré paradoxe à préparer les enfants à devenir citoyens en leur « faisant vivre l’obéissance et la soumission dans un espace autoritaire ». Il ne s’agit pas, pour autant, de verser dans une liberté débridée car la transgression des règles implique une sanction.
Les acteurs extérieurs : partenaires ou concurrents ?
Tout enseignant est forcément en relation avec des partenaires extérieurs qu’il s’agisse de parents, collègues, psychologues ou intervenants divers. L’institution scolaire ne sait pas toujours, par exemple, quoi faire des parents : jusqu’où les impliquer ? Il faut bien mesurer que les enseignants ont des représentations sur les parents et vice-versa. « Le regard de praticien » permet à Sylvain Grandserre de pointer trois bouleversements incontestables de ces dix dernières années : tout d’abord, l’extension massive de la logique procédurale, et surtout le temps et l’énergie que cela consomme. Il relève également l’explosion des demandes d’individualisation ainsi que la mise en oeuvre chaotique de la loi de février 2005 sur le handicap. Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch dressent également un bilan du travail donné à faire à la maison en insistant sur le fait qu’il doit être court, faisable par l’élève seul et en ne sollicitant un parent que pour vérifier ou jouer un rôle de répétiteur et surtout pas d’enseignant-bis.
En conclusion, les auteurs réaffirment quelques idées fortes auxquelles ils croient : le pédagogue est capable de construire des solutions sur mesure. « Il n’y a pas à se sentir responsable de la situation initiale de nos élèves mais nous serions coupables de ne rien entreprendre au prétexte que l’on n’y est pour rien. » On est pleinement d’accord quand ils affirment que l’enseignant peut faire sienne cette maxime : « ne rien s’interdire mais tout réfléchir ». En terme de formation il est là aussi essentiel de respecter ce principe « Ne rien dire que nous n’ayons fait ». Pour finir, Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch plaident pour une formation qui intègre des connaissances théoriques solides. Comme ultime rappel, ils terminent par les « inventions pédagogiques » de Célestin Freinet ou trente principes forts que tout pédagogue devrait faire siens.
Cet ouvrage donne donc des pistes concrètes, tout en les étayant scientifiquement. Le regard croisé entre le terrain et la recherche s’avère ici pleinement fécond. Ce livre pourra être utile à la fois à l’enseignant et au formateur.
Jean-Pierre Costille
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Par : Jean-Pierre Costille